27/07/2009

Autissier, l' auteure

Les événements qui se sont produits à cette époque étaient si inattendus et déchirants, que je ne les ai longtemps pas regardés en face. Ils me réveillaient certaines nuits comme on l'est par un robinet mal fermé dont le discret ploc-ploc s'insinue au fond du cerveau. Je les chassais ensuite de mon quotidien.

Quinze ans ont passé depuis les faits. Je suis enceinte. Ce n'est pas seulement le répit que me procure une grossesse paisible qui me pousse à exhumer ces souvenirs. Je crois que j'ai besoin de faire place nette avant que n'arrive la génération suivante. Je me sens aussi mieux armée, adulte à mon tour, pour essayer de comprendre.
Je connais depuis longtemps la manière d'effectuer ce travail de mémoire. Nous avons partagé avec papa le goût d'écrire. Son aventure tient en trois gros cahiers à spirale, tachés d'humidité, que j'ai été, tour à tour, trop jeune puis trop en colère pour ouvrir. De mon côté, j'en ai une vingtaine, mais seul le premier est contemporain des faits.

Il y a à la maison une pièce à moi, toute petite et mal chauffée, attenante au salon, que j'aime appeler mon boudoir et qui est l'ancienne chambre de mes parents. J'y entasse mes passions et mes passe-temps : gouaches, livres toujours relus, rameur d'appartement, petits meubles à retaper, outils, fouillis. C'est là, sur la table à toile cirée jaune, que j'ai disposé les quatre cahiers dont les récits s'entrecroisent. Sur la couverture du mien, j'avais dessiné un bateau sur un océan de fleurs et, en lettres inégales, tracé : " EVA : mon journal ".
Ceux de papa sont de grands formats, avec sobrement dans le coin supérieur gauche : " A bord de Sailahead ; Peter March : 31 octobre 1968 au 15 mars 1969 ", puis sur le suivant, la même mention reprenant au 16 mars 1969, mais sans date de fin et un dernier à la couverture encore plus maculée, qui ne porte aucun titre.
Je caresse les trois reliures, j'ai envie de pleurer, ce doit être la grossesse qui me rend émotive.

J'avais quatorze ans quand il est parti.




Isabelle Autissier s'essaie pour la première fois à la fiction, en s'appuyant sur l'odyssée tragique de Donald Crowhurst, concurrent en 1968-1969 du premier tour du monde en solitaire et sans escale.

Il fit croire qu'il virait les trois caps alors qu'il était resté dans l'Atlantique, avant de se jeter par-dessus bord.
Crowhusrt s'appelle ici Peter March et Autissier tisse un dialogue subtil entre l'ingénieur anglais embarqué dans une aventure qui le dépasse et sa fille Eva, qui découvre, quinze ans après, les livres de bord où son père a consigné sa trahison.

Un récit à deux voix qui sonne juste, comme si l'auteur Autissier connaissait les deux côtés de la barrière: les angoisses du marin et celles de la famille restée à terre.
( Critique L' express Livres )

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