02/04/2013

De l'autobiographie en poudre


Extraits de La Passion Suspendue - 
Un entretien avec Marguerite Duras 
réalisé par la journaliste italienne Leopoldina Pallotta della Torrede 
entre 1987 à 1989.
Traduit et annoté par René de Ceccaty - 
Réédition Mars 2013


Jusqu' où l'élément autobiographique importe pour vous ?
Ce sont toujours les autres, les gens qu'on rencontre, qu'on aime, qu'on épie qui détiennent l'amorce d'une histoire qu'on écrit. il est stupide de penser, comme pensent certains écrivains, même les grands, que l'on est seul au monde.

Pourriez-vous définir le processus même de votre écriture ?
C'est un souffle, incorrigible, qui m'arrive plus ou moins une fois dans la semaine, puis disparaît pendant des mois. Une injonction très ancienne, la nécéssité de se mettre là à écrire sans encore savoir quoi: l'écriture même témoigne de cette ignorance, de cette recherche du lieu d'ombre où s' amasse toute l'intégrité de l'expérience. 
Pendant longtemps, j'ai crû qu'écrire était un travail. Maintenant je suis convaincue qu'il s'agit d'un évènement intérieur, d'un"non-travail" que l'on atteint avant tout en faisant le vide en soi, et en laissant filtrer ce qui en nous est déjà évident. Je ne parlerais pas tant d'économie, de forme ou de composition de la prose que de rapports de forces opposées qui doivent être identifiées, classées, endiguées par le langage. Comme une partition musicale. Si l' on ne tient pas en compte cela, on fait des livres "libres" justement. Mais l'écriture n'a rien à voir avec cette liberté-là.

Ce serait donc là la raison définitive qui vous fait écrire ?
Ce qu'il y a de douloureux tient justement à devoir trouer notre ombre intérieure jusqu'à ce que se répande sur la page entière sa puissance originelle, convertissant ce qui par nature est "intérieur" en "extérieur". C'est pour ça que je dis que seuls les fous écrivent complètement. Leur mémoire est une mémoire trouée et toute entière adressée à l' extérieur.

Ecrire pour exorciser ses fantasmes ? Vous-mêmes vous soutenez la portée thérapeutique de l'écriture.
Enfant, j'avais toujours peur que la lèpre me contamine. Ce n'est qu'après, en écrivant d'elle, de la lèpre, quelque part, que la lèpre a cessé de m'effrayer, si cela peut vous expliquer la chose.
J'écris pour me vulgariser, pour me massacrer, et ensuite pour m'ôter de l'importance, pour me délester: que le texte prenne ma place, de façon que j'existe moins. Je ne parviens à me libérer de moi que dans deux cas: par l'idée du suicide et par celle d'écrire.

Yourcenar prétend qu'un écrivain "est utile s'il ajoute à la lucidité du lecteur, le débarrasse de timidités ou de préjugés, lui fait voir et sentir ce que le lecteur n'aurait ni vu ni senti sans lui".
Oui, les vrais écrivains sont nécessaires. Il donnent une forme à ce que les autres sentent de manière informe: c'est pour ça que les régimes totalitaires les bannissent.

Quel est selon vous la tâche de la littérature ?
De représenter l'interdit. De dire ce que l'on ne dit pas normalement. La littérature doit être scandaleuse: toutes les activités de l'esprit, aujourd'hui, doivent affaire au risque, à l'aventure. Le poète même est en soi ce risque même, quelqu'un qui, contrairement à nous, ne se défend pas de la vie.
Regardez Rimbaud, Verlaine... Mais Verlaine ne vient qu'après. Le plus grand reste Baudelaire: il lui a suffit de vingt poèmes pour atteindre l'éternité.

15 commentaires:

La Rouge a dit…

J'aime Duras, au delà de tout mot que je pourrais écrire de cet amour de ses mots à elle. Merci. Je me régale encore une fois.

Frederique a dit…

Impatiente de lire l'intégrale des entretiens (via la médiathèque de ma cité) que M.D. a accordé à Leopoldina Pallotta della Torre. Vous m'en donnez un avant-goût, merci. M.D., on l'a lit à la mesure, la tonalité de sa voix, ie en profondeur.

le bourdon masqué a dit…

une interview recueillie et traduite(x2),du pur jus.

Astrid Shriqui Garain a dit…

Elle ouvre passage.
Son rythme c'est la déchirure.
Son souffle, la réappropriation.
L'absence, son écriture
Ses mots, l'empreinte du manque
Ses images, la lecture du passage.

Sa folie – la mémoire de l'esprit
qui tranche, sur les bris de la vie,
nos absences, dans le silence de nos cris.

Pour s'écrire, jusqu'au soir de sa vie,
aussi nettement que ça,
sa main, ce jour là, ne tremblait pas.

La Rouge a dit…

Astrid, vos mots son toujours d'une justesse qui résonnent un peu comme le ferait un tambour joué près du ventre. Quasi amérindien ma fois. Ils me touchent toujours beaucoup. J'espère un jour avoir le plaisir de visiter un lieu qui est bien à vous. Merci.

Laure K. a dit…

@La Rouge
Plaisir partagé alors. :-)

Laure K. a dit…

@Frederique
Je l'avais mis en attente,et puis Duras revient comme un boomerang aux moments opportuns. Un ouvrage de qualité pour ceux qui aiment le style inimitable de l'écrivain et sa parole, ici retranscrite et traduite par René de Ceccaty. Lequel vient de publier un récent ouvrage sur Greta Garbo, "Le Renoncement" qui a l'air assez passionnant.

ENfin, je ne dvoilerai rien d'autre de cet entretien avec la journaliste italienne Leopoldina Pallotta della Torre qui a fait ici uen rencontre remarquable sur prêt de deux ans avec l'auteur.

Laure K. a dit…

@Le bourdon

Vous faites de l'ironie ou je n'y entends rien ?

Laure K. a dit…

@Astrid

C'est vous qui savez lui écrire si pleinement. Les mots ne tremblent pas plus dans les vôtres, Astrid.
Amitiés,
:-)

Laure K. a dit…

@La ROuge

Un tambour amérindien prêt du ventre, quelle image !

anne des ocreries a dit…

Fortiche....

Frederique a dit…

Merci. Entre-temps, entretien diffusé hier soir de Leopoldina Pallotta avec Laure Adler dans "Hors-Champs" en réécoute sur le site de France-Culture. Bonne journée.

Laure K. a dit…

@Frederique

merci beaucoup
:-)

Le Gallinacé a dit…

"Quel est selon vous la tâche de la littérature ?
De représenter l'interdit. De dire ce que l'on ne dit pas normalement. La littérature doit être scandaleuse: toutes les activités de l'esprit, aujourd'hui, doivent affaire au risque, à l'aventure. Le poète même est en soi ce risque même, quelqu'un qui, contrairement à nous, ne se défend pas de la vie.
Regardez Rimbaud, Verlaine... Mais Verlaine ne vient qu'après. Le plus grand reste Baudelaire: il lui a suffit de vingt poèmes pour atteindre l'éternité."
là oui, on se reconnait ! mais hélas, la Duras, s'est beaucoup prostituée !

Laure K. a dit…

@bg

Et vous bg, à quelle genre de prostitution vous vous êtes aliénez ?

Naturaleza

Chanson à la force Qui nourrit Le chemin De nos rêves Nature Nature Nature