Dans ma quête du jour, un des articles de Pierre Assouline, extrait de son blog La République des Livres, dans la rubrique fort passionnante "weblogs" ...
about Pierre Assouline, à voir ...
"La Critique de la raison blogosphérique reste à écrire. Une fois dressé l’inventaire des évidences (rompre la solitude, frotter son intelligence à celle des autres, se forger une opinion à l’écoute de voix discordantes, participer à une joute pour elle-même, s’informer tout simplement…), on a parfois du mal à comprendre que tant de gens passent tant d’heures devant leur clavier à rédiger des textes à seule fin de partager, de critiquer, de dénoncer ou de convaincre. (…) Ils s’inscrivent dans une histoire, celle de la conversation. Encore faut-il s’entendre sur le mot. Longtemps, l’échange de lettres fut tenu pour une conversation. Avec un absent, certes, mais conversation tout de même, au sens le plus large. Mais de quoi s’agit-il au juste depuis la conversatio à l’entretien, en passant par la disputatio et le colloque ? D’être ensemble. En chair ou en ligne, on y revient toujours sous une forme ou une autre. Briser la rumination en solitaire, frotter son intelligence à celle des autres, confronter sa vérité à l’arc-en-ciel des vérités. Dans les temps les plus reculés comme à l’âge technologique, ce sentiment de la convivialité héritée du banquet philosophique, fut-elle nettement plus rude, implique l’appartenance à un groupe, une famille, une tribu, un club, toutes choses qui se retrouvent aujourd’hui contenues dans le terme ambivalent de « réseau » (…)
La conversation ne connaît pas de temps mort dans ce monde qui ignore les fuseaux horaires ; il y a toujours quelqu’un à qui parler quelque part. La parole y coule dans une circumnavigation, un fleuve dans le flux de l’information et de la connaissance. Il s’inscrit naturellement dans ce nouveau monde où les vérités ne sont plus intangibles mais évolutives d’heure en heure. (…) C’est ainsi : il y en aura toujours pour nous éblouir par la finesse de leur jugement et l’étendue de leur culture, et d’autres pour nous accabler par leurs oellières et leur bêtise à front de taureau. C’est un précipité de l’âme humaine dans tout l’arc-en-ciel des sentiments, de la pure générosité à la bassesse la plus noire, du don de soi à la mesquinerie la plus vile, du goût des autres à l’étalage du cynisme satisfait. On finirait par croire qu’il en est dans le monde virtuel comme dans le monde réel. C’est à se demander s’ils ne font pas qu’un dans la vraie vie. (…) Toute personne qui débarque pour la première fois sur la Toile et pénètre dans un forum est immanquablement frappée par la violence qui s’y déploie. Elle s’imaginait que la conversation y serait ruisseau ou jardin anglais, et se retrouve prise dans un champ de bataille. Convenons que le ton y est assez éloigné du plaisir aristocratique de déplaire. Parfois littéraire mais le plus souvent crue, cette ardeur donne de prime abord un écho brutal à la conversation (…) Bien que le blog n’ait pas de couleur ni d’odeur, on sent bien lorsque certains commentaires sont écrits en état d’ébriété. Quelque chose d’imbibé en eux leur confère une grâce et un humour inhabituels. Ivres de leur droit à la parole, certains pourraient être soumis avec succès à l’alcootest en ligne dont le protocole reste à inventer (…) Il faut voir dans ce florilège tant un hommage à une pratique et à des pratiquants qui n’ont pas toujours bonne presse, qu’une tentative de décryptage des nouvelles formes de la conversation."
6 commentaires:
Excellente idée de sujet; assez d'accord avec son analyse en géneral, peu en ce qui a trait à la violence et usage de moultes libations pour exprimer ses positions. Maintenant pour en finir avec le taxage de narcissisme répété ad nauseam par ses détracteurs, la blogosphère est avant tout un exercice de "liberté d'expression" à l'extérieur et hors contrôle des médias et canaux de discussions habituels. Cette situation emmerde royalement les structures du pouvoir et du business. De tout temps, ces derniers ont imposé leur agenda sur quoi et comment consommer, quoi penser, qui élire, qui aller tuer et au nom de quoi, le tout, accompagné d'une subtile censure.Il faut, pour ces messieurs dames, éviter toute confusion entre le narcissisme et le doigt d'honneur, le premier nous enferme, le deuxième nous libère.
Ah la bonne blogue…
La conversation est un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu'elle pousse. (Jules Renard)
@MakesmewonderHum
on se sent vite mis à part en tout cas par les non-blogeurs...le vase ne communiquerait-il que dans un sens ?
Trop élitiste et private joke ?
Mais après tout on écrit sans doute pour ceux qui lisent pas pour ceux qui ne lisent pas ... je réflexionne encore assez mal sur le sujet...
@TG
:-)
Tel est le statut de l'écriture, je crois, couper et tailler les mots justes, à la racine près son propre jardinet ! et suer de sa plume de fer les fruits de nos transports.
@TG Elle a bien la finesse du,ou plutôt de Renard, celle-là.
"La conversation" c'est l'exposé oral du dyslexique sur la conservation.
@ Laure, les attaques les plus virrulentes à propos des blogs sont venus des journalistes, eux même ayant le plus à craindre dans le processus. Maintenant pour ce qui est de l'influence, des gens à rejoindre, les façons d'y arriver, tout pour moi n'est qu'au stade embryonnaire.
@MWH
Les attaques ne sont pas l'apanage des journalistes mais aussi de conjoints ou de la sphère privée des blogeurs... sujet ô combien sensible...
"encore à bloguer ? et Merdre, Mère Ubu!"
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