15/06/2010

Ecrire, dit elle



Il est des beautés dans l'anorexie de nos sexes que nulles souffrances ne déparent.

Longtemps sur un piano j' ai écrit des lettres noires, j' y ai laissé peu de blanc, mon petit tombeau rudimentaire à ouvrir chaque jour, enfoncer les touches une à une dans une terre ocre et profonde, je refermai la tombe chaque soir, les mains sales. J'écrivais pour moi, pour personne, pour ne pas en crever.
Le ventre vide errant de salles obscures en bibliothèques rayonnantes, boulimie de savoir... tout mais pas n'importe quoi, la danse, le théâtre, le corps en mouvement, mettre son corps en mouvement mais ne le nourrir que cérébralement. Malaises.

De temps à autre je plongeais dans la mer ... mon corps entier enrobé dans le réel de l'apesanteur, les bulles d'une main plongeante, la froideur sur la peau devait être ce qu' on appelait "réel".
La réalité est une notion que j' ai perdu à un moment donné.
La lucidité virtigineuse de soi dans le monde a peu à peu remplacé l'enveloppe corporelle et je n' étais plus moi, mais quelque chose dans un monde ultra sensible, d'une violence inouïe. Plus de carapace.

Chercher une caresse aux bords des quarantième rugissants

J'avais conscience que la force lumineuse qui m'avait propulsé dans cet état pouvait se transformer en une force féroce, créatrice, destructrice ... et n' ayant pas les armes, ni les nerfs assez solides pour y faire face, effectivement, je tombais à genoux, puis à terre sous les soubresauts de mon corps qui expurgeait les vipères.

La nuit où je visitais en rêve l' asile d'aliénés, la ronde des camisoles et les suicides parachutés me firent sortir de cette torpeur nauséabonde. Au matin, je fermais cahiers, livres et parti battre la campagne avec le chien.
Je n'y reviendrais pas, pas tout de suite, pas ici, l'écriture est une douleur, il faut beaucoup de force et d'amour pour toiser ses démons, et les offrir en pâture, avec de la hauteur.

9 commentaires:

anacoluthe a dit…

mais il me semble que tu l'as fait, toiser, et avec hauteur, si fait.

comme tu dis bien "démons", sais tu que la tentation de la désespérance et de la solitude s'appelle déréliction ?
Et nous dérélictons (il faudrait l'inventer en verbe) chacun à notre façon, nous l'écrivons, le partageons et le lisons, et alors, c'est comme si un peu de cela s'effaçait...

bises miss

Blue a dit…

Oui, il me semble aussi que tu le fais...
J'aime beaucoup d'ailleurs cette dernière phrase de ton texte.

L'écriture est un cheminement, et le voyage pour toi est en route, step by step...

Suis sensible aussi au travail de Sophie Calle que tu montres là, c'est prégnant!

Bises belle âme.
Blue

Saravati a dit…

J'ai vu votre vidéo chez Helena Blue, je suis sous le charme ...
c'est captivant, émouvant, une belle intériorité, un partage d'un rêve à deux qui restera éloigné...cette peur qui risque de tout effacer ou de trop exiger ...
Je reviendrai vous lire ... vous voir !

laure K a dit…

@Ana Coluthe

oui, en fait, je l'écris aujourd'hui, trop pleine de contradictions parfois ...
je ne connaissais pas ce terme de "déréliction", la tentation de la mélancolie n'est jamais très loin, je crosi avoir appris à l'apprécier à certains instants et à en sortir.
Merci à toi

laure k a dit…

@Helenablue

merci, Blue !

J'aime beaucoup le travail de Sophie Calle également, elle interroge le corps et sa relation aux autres de façon très expérimentale, en "happenning" aussi, je pensais à ce film road movie qu'elle a fait et qui s' appelle "No sex last Night",
une caméra subjective en forme de journal de bord, elle y déroule ses sentiments de cheminement intérieur qui la relie à cet homme qu'elle va rejoindre, avec ses doutes ...

un carnet de route qui aurait pû naître d'un blog, en fait.

ET puis je suis tombée sur cette petite vidéo qui m'a rappelé ta photo de l'Ombre...

laure k a dit…

@Saravati

Honorée de votre présence ici, tant mieux que le film ait franchi vos frontières, d'autres ne l'ont pas accueilli en ces termes... et tant mieux tant pis ...
A très bientôt

MakesmewonderHum a dit…

@ Laure
Embarque dans mon canoë, je t'emmène, là, sur le grand marais, celui qui me calme, me répare et pare tous les démons. Même le crépuscule s'y repose ,endormi par tous ses chants, comme une douce mélopée appelant l'aube à nouveau.

Laure K. a dit…

@MakesmewonderHum

Charming...
thanks wonderHum !

Tailleur d'Images a dit…

force et amour, oui, ça me semble juste.
Aux beaux-Arts on disait que le peintre est seul devant sa toile, qu'il n'a pas de filet de sécurité.
Il faut faire pour se rendre compte de la difficulté du créateur à créer : les raisons de ne pas faire sont légion, les repousser demande une énergie incroyable, donc la force, et l'amour pour amadouer son propre regard sur soi, mais aussi pour pouvoir partager ceci avec autrui.
Et se servir des mots, que c'est compliqué !

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