04/04/2011

Portrait

Afin que son visage qui renonce
ne trahisse aucune de ses grandes souffrances
elle porte lentement, à travers tous les drames,
le joli bouquet fané de ses traits,
puissamment noué, presque défait,
il en tombe parfois, comme une tubéreuse,
lassé, un sourire perdu.
Elle passe dessus, négligemment et lasse,
de ses belles mains aveugles,
qui savent ne plus le retrouver,
puis, le menton haut, elle laisse retomber
sans parole, toutes ces paroles imaginées:
car aucune d'elles
n'est à la mesure du réel déchirant,
la seule chose qu'elle ait en propre
qu'elle doit maintenir, comme un vase sans pied,
bien au-dessus de sa gloire,
et bien au-delà du cours des soirées.

Portrait d' Eleonora Duse de Rainer Maria Rilke


7 commentaires:

manouche a dit…

Déchirant portrait de la vieillesse,et pourtant c'est encore ce qui peut nous arriver de mieux!

Anonyme a dit…

@manouche
Je trouve ce portrait tres beau dans les details
et les courbes, une peinture de l'ame, je l'avais recopie jadis,
je ne lis plus Rilke depuis longtemps.
Trop triste et trop sombre.

Laure

bizak a dit…

C'est vraiment émouvant de décrire ainsi la fin de vie d'une si grande comédiènne. L'existence est si brève qu'il faut la vivre en amour.

Laure K. a dit…

@Bizak

"Marchez pendant que vous avez de la lumière" -
Titre d' un roman de Tolstoï

bizak a dit…

@Laure
Qu'est ce qu'il n'a pas écrit cet immense écrivain?"Marchez pendant que vous avez de la lumière" etait un titre prémonitoire, écrit en 1910. Tolstoi est retrouvé mort la même année,loin de chez lui dans une gare..."il marchait tant qu'il avait de la lumière",quel destin!

Laure K. a dit…

@Bizak
Merci d'éclairer ma lanterne, je ne connaissais pas cette fin de vie.

ça me fait penser également à Elsa Triolet avec "Le rossignol se tait à l'aube" qu' elle a écrit à la fin de sa vie. Prémonitoire.

bizak a dit…

@Laure
Oui!,quelle vie pleine d'Elsa, la compagne de Louis Aragon qui a écrit un poème aprés sa mort
et chanté par Jean Ferrat:
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.
Louis Aragon

Fabienne Verdier, rencontre

  Devenir un corps pinceau-pensant, suspendu à la loi de la gravitation. Apprivoiser le tombé d'un drapé d'encr...