Phia Ménard
Une performeuse qui participe au
renouvellement de la jonglerie en travaillant les éléments : la glace,
le vent, bientôt l’eau comme une métaphore de sa propre métamorphose.
L' hermaphrodite- Musée Zadkine
Chacun est confronté dans l’intimité et nul échappatoire
n’est possible. Se débarrasser du carcan social, puis se débarrasser de
son enveloppe (la rejeter, la regretter), enfin se débarrasser de tout
son moi, intérieur (long tableau visuellement frappant où l’artiste se
vide littéralement d’elle même, de sa colère, de son passé, de ses
codes…). Ensuite accoucher de soi-même, se mettre à nouveau au monde, et
éclore d’un placenta de plastique dans un nouveau corps et une nouvelle
âme.
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Vortex- Création Cie Non Nova
Accouchement, mue, nouvelle naissance, révélation, chrysalide… tout le
champs sémantique de la symbolique de la transformation est explorée
plastiquement (au sens figuré comme au sens propre) par Phia Ménard, qui
se débarrasse peu à peu, de ses oripeaux superflus et embarrassants
jusqu’à apparaitre aux spectateurs quasi-nue, en femme.
"A moi petite fille que je n'ai pas été, on ne m'a pas dit "un jour ton prince viendra", alors je suis un peu frustrée, et je m' appercois que ça a marqué beaucoup de femmes et d' hommes cette histoire de prince charmant. C'est donc la quête de l'amour absolu. On y a cru un peu, mais on n' y croit pas et on doit se reconstruire. J'ai donc congelé un ballet de robes de princesses, le ballet du bal du Guépard de Visconti, ce ne sont que des robes mises en formes qui vont peu à peu se transformer en serpillères. Et lorsque elles seront devenues des serpillères nous devront éponger nos larmes et réapprendre à aimer."
"C'est le retour sur un
imaginaire d'une enfance que je n'ai pas eu. Le passé d'une fillette que
je n'ai pas été. Faire une sorte d'archéologie spéculative de ma propre
enfance féminine." ( A propos de la future création de Phia Ménard, "Belle d' hier"- propos recueillis ici )
"Ce
qu'on nomme une invention, une idée musicale, c'est d'abord une
inspiration dont je ne suis pas responsable. Je n'en n'ai aucun mérite. C'est
un cadeau, un don qu'il me faut presque mépriser tant que je ne me le
suis pas approprié par mon travail."
Johannes Brahms
Ardeur
maniaque pour travailler la phrase, rigueur jalouse en matière de
style, le tout pour parvenir a un ton neuf, comment ne pas penser ici à
Flaubert, presque contemporain de Brahms (...)
Pour un Schubert, un Schumann, un Brahms, la musique est langage des profondeurs, elle traduit le flux obscur de l'indicible. En ceci elle ressemble fortement à la poésie . Il n'est pas étonnant que ces musiciens aient été si intéressés et troublés par le poème, que les mots mêmes, comme le dit Brahms à propos des poésies et des ritournelles, leur suggèrent des notes, et qu'ils soient tous de grands lecteurs, de grands collectionneurs de mots. Car la musique est aussi là pour sauver de l'effort douloureux de trouver les mots. Schumann aura d'ailleurs longtemps hésité entre littérature et musique.
"Quand je lis un poème, je le lis lentement et distinctement, à haute voix, en général la mélodie me vient."
Autre traduction plus bas
Toute la tristesse de Brahms passe dans cette Rhapsodie. Clara note dans son journal, en septembre 1869, que ce morceau est l'expression même du malheur. "Si seulement Johannes pouvait exprimer autant d'ardeur avec les mots !"
La Rhapsodiepour alto opus 53 est composée pour le mariage de la fille de
Robert et Clara Schumman, à partir d'un poème de Goethe, Le Voyage dans le Harzen hiver.
extraits de BRAHMS-
Marie-Louise Audiberti
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Cette œuvre vocale et orchestrale de Brahms, parmi les plus belles et les plus émouvantes qu’il ait écrites, est le résultat d’une double rencontre. Elle est d’abord et avant tout le fruit d’une immense déception amoureuse que Brahms ne confia jamais de son vivant. Alors que le compositeur, âgé de 33 ans, n’a cessé d’être amoureux platoniquement de la grande pianiste Clara Schumann, il s’est entiché pendant une période très courte (et par une sorte de « transfert » bien connu des psychanalystes) d’une des filles de Clara, Julie. Cette histoire d’amour, restée au niveau du fantasme et jamais exprimée (ni à Clara, ni à la charmante Julie elle-même), aboutira à un terrible chagrin lorsque la jeune fille annoncera son mariage avec le comte Radicati. C’est de cette violente et fugitive déception amoureuse que naît la Rhapsodie, sorte de douloureuse méditation sur la souffrance et le moyen de transcender cette souffrance. Pour cela, Brahms utilise trois strophes d’un poème de Goethe, Harzreise im Winter (Voyage dans le Harz en hiver), exprimant un épisode triste de sa vie : en 1777, le poète avait traversé les montagnes pour aller rencontrer un jeune homme bouleversé par la lecture de Werther, et dont il ne put empêcher le suicide. Mais cette œuvre est aussi le fruit d’une seconde rencontre, celle avec la grande cantatrice et compositrice française Pauline Viardot, sœur de la Malibran, dont Brahms avait fait la connaissance grâce à Clara Schumann. De 1863 à 1870, Pauline s’était installée à Baden-Baden, en Forêt noire, avec toute sa famille. C’est aussi là que Brahms passait ses étés à composer sereinement dans la maison qu’il louait non loin de celle des Viardot. Il apprécia le talent, l’immense culture et le rayonnement européen de la cantatrice française, égérie de Tourguéniev comme de Chopin ou de George Sand, et il vit aussitôt en elle la créatrice idéale de cette Rhapsodie, ce « chant nuptial pour la comtesse Schumann », comme il aimait à le surnommer avec une pointe d’ironie.
L’œuvre se divise en trois parties correspondant aux trois strophes (strophes 5, 6, 7) retenues dans le poème de Gœthe. La première s’ouvre par un long prélude orchestral traduisant le vide absolu, le néant dans lequel est plongé l’être humain : trémolos des violons en sourdine, incertitude tonale, grondement des bassons et des cordes graves… De ce chaos harmonique, s’élève la voix du contralto solo (tessiture dans laquelle Pauline Viardot était la plus émouvante) :
Mais qui est cet homme à l’écart ? Par de brèves interventions dramatiques, sombres et entrecoupées, la voix semble s’engouffrer, fragile, dans un univers sonore qui la dépasse, à la manière du jeune homme errant, englouti par la nature qui l’environne.
Aber abseits, wer ist’s ? Mais là-bas, qui est-ce ? Son chemin se perd dans les broussailles, derrière lui les buissons se referment, l’herbe se dresse à nouveau, le désert l’engloutit
La deuxième strophe (Qui saura guérir les souffrances ?) montre déjà une sorte d’apaisement malgré la douleur profonde contenue dans la sublime mélodie du contralto. Certains mots révélateurs, tels poison ou haine des hommes, sont soulignés par l’orchestre, avant qu’une touche d’espoir ne vienne saluer l’expression plénitude de l’amour.
Ach wer heilet die Schmerzen Ah qui guérira les souffrances de celui pour lequel le baume devient un poison ? De celui qui, de la plénitude de son amour, voit naître la haine des hommes ! D’abord méprisé, aujourd’hui détracteur, il gaspille secrètement sa propre valeur dans une inestimable recherche de soi.
Arrive enfin le moment de grâce de cette partition, cette troisième strophe qui n’est autre qu’une prière adressée au « Père d’amour » (S’il est sur ton psaltérion…). C’est là qu’entre pour la première fois le chœur d’hommes. Ce choix de Brahms peut s’expliquer par des raisons purement esthétiques (des voix d’hommes seuls peuvent mieux renforcer la couleur sombre de l’ensemble de l’œuvre) mais aussi par des raisons plus psychologiques (le chœur d’hommes traduit un « monde sans femmes », comparable à ce qu’est la réalité du compositeur au moment de son chagrin amoureux). La voix de la soliste ne va plus cesser désormais d’être soutenue, accompagnée, embellie, par ce chœur masculin, traité à la manière d’un hymne quasi religieux. L’œuvre change alors de couleur : les fractures, les aspérités, les souffrances des deux premières strophes semblent s’effacer peu à peu au profit d’une sérénité retrouvée, d’une plénitude orchestrale et vocale, enfin possibles grâce à la ferveur de cette émouvante prière.
Ist auf deinem Psalter… Père de l’amour, si ton psaltérion renferme un chant auquel son oreille se montre attentive, alors rafraîchit son cœur ! Révèle à son regard voilé les milles sources voisines de l’homme assoiffé dans le désert !
Comme Brahms l’avait souhaité, c’est Pauline Viardot qui créa la Rhapsodie, en 1870 à Iéna, Ernst Naumann dirigeant l’Akademischer Gesangverein. Sans vraiment comprendre le drame intérieur qu’avait vécu le compositeur, Clara Schumann n’en fut pas moins émue, comme l’atteste son Journal intime : « Il y a quelques jours, Johannes m’a montré une œuvre merveilleuse pour alto, chœur d’hommes et orchestre. Il l’a appelé SON chant nuptial. Il y a longtemps que je n’avais ressenti une impression aussi vive ; j’ai été secouée par la peine profonde exprimée par ses paroles et sa musique ».
"L' homme fort vante la nature, le soleil, les arbres, les oiseaux, et aussi les vignobles et l'eau verte du fleuve. L'homme fort a la coeur brûlant d'amour, et le ciel resplendit.
Mais l'homme sensible parle du passé, de la pluie, de l'enfance. L' homme sensible dit sa tristesse. Même l'amour, il ne sait pas le vivre. S'il cueille la rose, avec Goethe, la rose le pique. Et le plus souvent il passe son chemin, le coeur lourd. Pour ne pas errer dans son désespoir comme une chien perdu buvant de l'eau des flaques, il chante. Que ses chants tarissent les larmes, arrête les soupirs. La nuit qui descend lentement, comme si le ciel avait silencieusement baisé la terre, apporte l'apaisement. L'âme déploie ses ailes, se détend. S'installe une sorte de paix sereine, résignée."