21/06/2013

"A Bas bruit" ou le temps suspendu

Nathalie Richard, en suspend, dans le film A Bas Bruit

"A bas bruit" est un film "haut, bas, fragile", comme ces étiquettes que l'on voit sur les cartons d'emballage ou de déménagement. Il invite à un temps suspendu, curieusement hors d' une zone de confort mais tout en apesanteur.
N'est-ce pas là tout l'art du cinéma que de suspendre le temps ? au moins de tenter de le retenir, entre ciel et terre ? Une façon de panser et d'offrir à penser.

Il confine la parole au silence, laisse sa comédienne oeuvrer dans un cocon de polystyrènes, dans l'effet papillon d'une lumière qui cherche le passage, le film ajoure tous les mots dits, par Nathalie, l'interprète, échappées des pages de Judith, l'auteur.

Un film qui a séjourné, "de jour comme de nuit",  dans la tête de la réalisatrice et de la comédienne,  pendant de longues années, un film de longue haleine parsemé de deuils profonds, dont la recomposition a prit sa forme sans doute au moment où elles s'y attendaient le moins.

D'où nait un beau jour la volonté d'épurer l'image, de laisser deviner les formes de représentations des scènes sans le décorum ? Un pari fou. L'envie de s'extraire de tout ce qui est reconnu, probablement. Donner à voir et à entendre, autrement. C'est une démarche et un questionnement que je comprends. On n'est jamais sûr d'arriver à un résultat plausible, engageant, possible, mais il faut tenter.

Aurait-t-il pû être seulement radiophonique ce scénario-là ? comme le suggérait pauvrement un critique...
C'est retirer, à mon sens, le nerf même, du film, qui n'a de cesse d'interroger cette notion d' incarnation, la chair même, celles des des mots, et les mots qui viennent de la vie, d'une vie incarnée, in carne, et qui ne reprend vie qu' au travers de la chair, celle d'une comédienne, celle d'un boeuf écorché, celle de l'amie.

Imaginons ce que ce film aurait pû être, si chaque scène avaient été représenté de façon naturaliste, comme il devait se faire à l'origine...
Mais non, n'y pensons pas.
La réalisatrice Judith Abitbol a fait le choix de la narration sans embages, après une lecture donnée du scénario par Nathalie Richard. Et, à la voir à l'écran, on comprend ce choix drastique de l'épure.
Il faut alors faire confiance à la force du squelette narratif, et à l'évocation d'une lecture scénaristique. Avoir confiance en la charpente textuelle et à l'écho de son interprète. Et ici et là, très précisément, y déposer les images d'un ailleurs et d'un autre temps qui donnent alors l'éclairage entier à tout ce pourquoi du film.
Un pari osé.

Ce que l'on voit dans ce film - et pourquoi il est encore heureux de le voir - malgré sa maigre distribution en salles, c'est aussi le travail d'une comédienne qui, de répétitions en répétitions, d'intentions en intensité, se réapproprie les mots, le jeu des scènes, avec une jubilation non feinte,  et une gracieuse justesse du geste. Quel bonheur que cet oeil-caméra pour avoir le privilège de regarder les autres vivre de si prêt, et avec "tant d'amour..."

"A bas bruit" est un film document, une pierre angulaire, au sens où il interroge l'artifice "cinéma",  où il force le pouvoir de l'imaginaire spectatoriel, où il se projette confiant, entre nos synapses habitués à la disperssion. On nous propose d'éxpérimenter un cadre d'écoute, d'observation et d'invention. Presque oui, comme au théâtre, la focale et le choix des prises en plus.
La comédienne est filmée au plus prêt de sa texture de peau et se dévoile avec toute cette magie mystérieuse que les grandes comédiennes maîtrisent, sans besoin de se grimer.

"A bas bruit" est un film  qui invente son propre langage avec un certain goût du risque, celui de ne pas plaire d'emblée. Mais comment faire autrement pour être à la hauteur de l'intraduisible, si ce n'est de continuer à interroger la matière sur laquelle la douleur peut se projeter, se traduire, s'incarner et se transcender ?



Projections à Paris à L'Espace St Michel, et MK2 Beaubourg.
autres documents sur le film http://www.filmsduparadoxe.com/abasbruit.html

2 commentaires:

Mistral a dit…

Coool!!!

Merci.

alex-6 a dit…

c'est un commentaire de conviction comme je les aime car il explique le pourquoi de ce film qui est un travail pratique pour son auteur

Fabienne Verdier, rencontre

  Devenir un corps pinceau-pensant, suspendu à la loi de la gravitation. Apprivoiser le tombé d'un drapé d'encr...