Johannes Brahms
Pour un Schubert, un Schumann, un Brahms, la musique est langage des profondeurs, elle traduit le flux obscur de l'indicible. En ceci elle ressemble fortement à la poésie . Il n'est pas étonnant que ces musiciens aient été si intéressés et troublés par le poème, que les mots mêmes, comme le dit Brahms à propos des poésies et des ritournelles, leur suggèrent des notes, et qu'ils soient tous de grands lecteurs, de grands collectionneurs de mots. Car la musique est aussi là pour sauver de l'effort douloureux de trouver les mots. Schumann aura d'ailleurs longtemps hésité entre littérature et musique.
"Quand je lis un poème, je le lis lentement et distinctement, à haute voix, en général la mélodie me vient."
Autre traduction plus bas
Toute la tristesse de Brahms passe dans cette Rhapsodie. Clara note dans son journal, en septembre 1869, que ce morceau est l'expression même du malheur. "Si seulement Johannes pouvait exprimer autant d'ardeur avec les mots !"
La Rhapsodie pour alto opus 53 est composée pour le mariage de la fille de
Robert et Clara Schumman, à partir d'un poème de Goethe, Le Voyage dans le Harz en hiver.
Robert et Clara Schumman, à partir d'un poème de Goethe, Le Voyage dans le Harz en hiver.
extraits de BRAHMS-
Marie-Louise Audiberti
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Cette œuvre vocale et orchestrale de Brahms, parmi les plus belles et les plus émouvantes qu’il ait écrites, est le résultat d’une double rencontre. Elle est d’abord et avant tout le fruit d’une immense déception amoureuse que Brahms ne confia jamais de son vivant. Alors que le compositeur, âgé de 33 ans, n’a cessé d’être amoureux platoniquement de la grande pianiste Clara Schumann, il s’est entiché pendant une période très courte (et par une sorte de « transfert » bien connu des psychanalystes) d’une des filles de Clara, Julie.
Cette histoire d’amour, restée au niveau du fantasme et jamais exprimée (ni à Clara, ni à la charmante Julie elle-même), aboutira à un terrible chagrin lorsque la jeune fille annoncera son mariage avec le comte Radicati. C’est de cette violente et fugitive déception amoureuse que naît la Rhapsodie, sorte de douloureuse méditation sur la souffrance et le moyen de transcender cette souffrance. Pour cela, Brahms utilise trois strophes d’un poème de Goethe, Harzreise im Winter (Voyage dans le Harz en hiver), exprimant un épisode triste de sa vie : en 1777, le poète avait traversé les montagnes pour aller rencontrer un jeune homme bouleversé par la lecture de Werther, et dont il ne put empêcher le suicide.
Mais cette œuvre est aussi le fruit d’une seconde rencontre, celle avec la grande cantatrice et compositrice française Pauline Viardot, sœur de la Malibran, dont Brahms avait fait la connaissance grâce à Clara Schumann. De 1863 à 1870, Pauline s’était installée à Baden-Baden, en Forêt noire, avec toute sa famille. C’est aussi là que Brahms passait ses étés à composer sereinement dans la maison qu’il louait non loin de celle des Viardot. Il apprécia le talent, l’immense culture et le rayonnement européen de la cantatrice française, égérie de Tourguéniev comme de Chopin ou de George Sand, et il vit aussitôt en elle la créatrice idéale de cette Rhapsodie, ce « chant nuptial pour la comtesse Schumann », comme il aimait à le surnommer avec une pointe d’ironie.
Cette histoire d’amour, restée au niveau du fantasme et jamais exprimée (ni à Clara, ni à la charmante Julie elle-même), aboutira à un terrible chagrin lorsque la jeune fille annoncera son mariage avec le comte Radicati. C’est de cette violente et fugitive déception amoureuse que naît la Rhapsodie, sorte de douloureuse méditation sur la souffrance et le moyen de transcender cette souffrance. Pour cela, Brahms utilise trois strophes d’un poème de Goethe, Harzreise im Winter (Voyage dans le Harz en hiver), exprimant un épisode triste de sa vie : en 1777, le poète avait traversé les montagnes pour aller rencontrer un jeune homme bouleversé par la lecture de Werther, et dont il ne put empêcher le suicide.
Mais cette œuvre est aussi le fruit d’une seconde rencontre, celle avec la grande cantatrice et compositrice française Pauline Viardot, sœur de la Malibran, dont Brahms avait fait la connaissance grâce à Clara Schumann. De 1863 à 1870, Pauline s’était installée à Baden-Baden, en Forêt noire, avec toute sa famille. C’est aussi là que Brahms passait ses étés à composer sereinement dans la maison qu’il louait non loin de celle des Viardot. Il apprécia le talent, l’immense culture et le rayonnement européen de la cantatrice française, égérie de Tourguéniev comme de Chopin ou de George Sand, et il vit aussitôt en elle la créatrice idéale de cette Rhapsodie, ce « chant nuptial pour la comtesse Schumann », comme il aimait à le surnommer avec une pointe d’ironie.
L’œuvre se divise en trois parties correspondant aux trois strophes (strophes 5, 6, 7) retenues dans le
poème de Gœthe. La première s’ouvre par un long prélude orchestral traduisant le vide absolu, le néant dans lequel est plongé l’être humain : trémolos des violons en sourdine, incertitude tonale, grondement des bassons et des cordes graves… De ce chaos harmonique, s’élève la voix du contralto solo (tessiture dans laquelle Pauline Viardot était la plus émouvante) :
Mais qui est cet homme à l’écart ? Par de brèves interventions dramatiques, sombres et entrecoupées,
la voix semble s’engouffrer, fragile, dans un univers sonore qui la dépasse, à la manière du jeune homme errant, englouti par la nature qui l’environne.
Aber abseits, wer ist’s ?
Mais là-bas, qui est-ce ?
Son chemin se perd dans les broussailles,
derrière lui
les buissons se referment,
l’herbe se dresse à nouveau,
le désert l’engloutit
La deuxième strophe (Qui saura guérir les souffrances ?) montre déjà une sorte d’apaisement
malgré la douleur profonde contenue dans la sublime mélodie du contralto. Certains mots révélateurs, tels poison ou haine des hommes, sont soulignés par l’orchestre, avant qu’une touche d’espoir ne vienne saluer l’expression plénitude de l’amour.
Ach wer heilet die Schmerzen
Ah qui guérira les souffrances de celui pour
lequel le baume devient un poison ?
De celui qui, de la plénitude de son amour,
voit naître la haine des hommes !
D’abord méprisé, aujourd’hui détracteur,
il gaspille secrètement
sa propre valeur
dans une inestimable recherche de soi.
Arrive enfin le moment de grâce de cette partition, cette troisième strophe qui n’est autre qu’une prière adressée au « Père d’amour » (S’il est sur ton psaltérion…). C’est là qu’entre pour la première fois le chœur d’hommes. Ce choix de Brahms peut s’expliquer par des raisons purement esthétiques (des voix d’hommes seuls peuvent mieux renforcer la couleur sombre de l’ensemble de l’œuvre) mais aussi par des raisons plus psychologiques (le chœur d’hommes traduit un « monde sans femmes », comparable à ce qu’est la réalité du compositeur au moment de son chagrin amoureux). La voix de la soliste ne va plus cesser désormais d’être soutenue, accompagnée, embellie, par ce chœur masculin, traité à la manière d’un hymne quasi religieux. L’œuvre change alors de couleur : les fractures, les aspérités, les souffrances des deux premières strophes semblent s’effacer peu à peu au profit d’une sérénité retrouvée, d’une plénitude orchestrale et vocale, enfin possibles grâce à la ferveur de cette émouvante prière.
Ist auf deinem Psalter…
Père de l’amour,
si ton psaltérion renferme un chant
auquel son oreille se montre attentive,
alors rafraîchit son cœur !
Révèle à son regard voilé
les milles sources
voisines de l’homme assoiffé
dans le désert !
Comme Brahms l’avait souhaité, c’est Pauline Viardot qui créa la Rhapsodie, en 1870 à Iéna, Ernst Naumann dirigeant l’Akademischer Gesangverein. Sans vraiment comprendre le drame intérieur qu’avait vécu le compositeur, Clara Schumann n’en fut pas moins émue, comme l’atteste son Journal intime :
« Il y a quelques jours, Johannes m’a montré une œuvre merveilleuse pour alto, chœur d’hommes
et orchestre. Il l’a appelé SON chant nuptial. Il y a longtemps que je n’avais ressenti une impression
aussi vive ; j’ai été secouée par la peine profonde exprimée par ses paroles et sa musique ».
5 commentaires:
un grand merci pour cette belle leçon sur la grande musique
les explications qui viennent en complement ont été pour moi d'une grande utilité en écoutant ce chant nuptial.
Je ne sais plus qui a dit que pour faire naître une image, il fallait toujours, au départ deux images.
Elles ne sont pas consécutives, elles sont constitutives.
C'est la base de toute création je crois.
Merci à toi de nous expliquer toute cela avec autant de richesse.
Les mots, les notes ensemble rendent la profondeur d'une douleur, le parfum d'une absence.
Ça dit beaucoup, ça contient énormément.
Il faut recevoir, prendre, entendre et comprendre tout ça.
La vie serait une tragédie si on ne prenait pas le risque de la vivre.
Même si elle nous brûle, nous malmène, nous transporte parfois au delà de nous mêmes, on la retrouve toujours, nouvelle sans doute, autre et incroyablement plus forte et pleine de promesses.
La vie croît à la mesure de tout ce que nous traversons, et nous sommes très souvent merveilleusement étonnés de réaliser tout ce qu'elle a sait rendre pour toutes les peines qui nous ont été données.
«Là où la vie emmure, l'intelligence perce une issue, car s'il n'est pas de remède à un amour non partagé, on sort de la constatation d'une souffrance, ne fût-ce qu'en en tirant les conséquences qu'elle comporte. L'intelligence ne connaît pas ces situations fermées de la vie sans issue. M. Proust- A la recherche du temps perdu- Le temps retrouvé (1927)».
Je t'embrasse.
Astrid.
Alex,
Pareillement. Découvrir la musique telle qu' elle s'inspire, se compose, s'ancre dans la vie, l'art, la poésie. Tout est si intimememt lié.
Astrid,
Johannes Brahms au travers de la pianiste aura été d'un majestueux réconfort. Je devrais le lui rendre.
Plus tard.
Sublime dans la nudité de sa voix...Katleen Ferrier
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