Devenir un corps
pinceau-pensant, suspendu à la loi de la gravitation. Apprivoiser le tombé d'un drapé d'encre généreux et chaotique, dompter la spontanéité d' un flot impétueux, grâce à la répétition, à l'anticipation du geste, comme un sportif de haut niveau.
A l'occasion de la publication de
ses carnets de recherche "Echos" de 2017 à 2022, la peintre Fabienne
Verdier tout de jaune vêtue, casquette à l'envers, signe désormais iconique sur
le chef, accueille la file de personnes venues à sa rencontre.
Généreux échange, écoute
active, j'avais à cœur de lui partager l'inspiration que me procure la
richesse de ses recherches analogiques et labyrinthiques qu'elles inscrits dans
de nombreux carnets publiés à chaque œuvre.
Fabienne Verdier
s'adonne à cette activité depuis plus de 30 ans, avec une ferveur et une
ascèse rare, qui lui vient sans doute de ses dix années passées en Chine,
dans la province du Sishuan, en tant qu'étudiante française et le laborieux
mais passionnant apprentissage de la calligraphie reçue d'un ancien maître
lettré.
Lutter avec, s'en accommoder, faire sien le vertige et tenter de capter sans relâche les leçons du vivant. Faire
transparaitre, rendre visible l'invisible.
Image from the credits of the series "Gentleman Jack" (HBO/BBC)
Anne Lister / Suranne Jones
At the end of my suffering
there was a door.
Hear me out: that which you call death I remember.
Overhead, noises, branches of the pine shifting. Then nothing. The weak sun flickered over the dry surface.
It is terrible to survive as consciousness buried in the dark earth.
Then it was over: that which you fear, being a soul and unable to speak, ending abruptly, the stiff earth bending a little. And what I took to be birds darting in low shrubs.
You who do not remember passage from the other world I tell you I could speak again: whatever returns from oblivion returns to find a voice:
from the center of my life came a great fountain, deep blue shadows on azure seawater.
"Reality is much larger than what we are able to grasp. Sometimes we can only clarify something by confronting it with what we do not know. And
sometimes the questions we ask lead us to much older experiences, which
do not only belong to our culture, here and now. It is as if a
knowledge that has always belonged to us, comes back to us, but of which
we are no longer aware, nor even contemporary. It reminds us of
something that is common to us all. This is what gives us strength and
hope. The questions never stop, nor does the research. There is
something infinite about it. When I look at our work, I feel as if I
have only just begun."
J'ai replongé dans le monde média avec beaucoup de prudence et de distance en apprenant la tuerie de Nice. Au vu du carnage médiatique, j'ai bien fait.
masque de Dark vador- Star Wars VII
"La haine est revenue, par de petits interstices (…) Elle
emprunte toujours le même chemin: elle trouve de vieux défauts à un
groupe d' hommes, à leurs moeurs, elle en brandit la dangerosité, la
nuisance, pour se répandre toujours plus profondément. D'expérience, je
sais qu' elle a gain de cause, souvent, la haine. Elle est rusée, elle
exploite la faiblesse des uns, la pauvreté des autres, les vieilles
blessures de tous, puis frappe. Et défigure. Sous son masque, on ne
reconnaît plus l' homme, on discerne seulement une bouillie d' homme.
Dont l' Histoire, cette folle fiction aux conséquences réelles, pourrait
bien se repaître à nouveau."
(extrait du témoignage de Léon, survivant
d' Auschwitz
Plus tard, dans ma nuit sans sommeil, je lis le livre d' Ahmed Dramé,"Nous sommes tous des exceptions", le récit d' un jeune homme de banlieue témoignant de son parcours scolaire chaotique
jusque' à la rencontre en seconde avec l'Histoire, celle de la Shoah, au travers d'un concours sur la résistance et la déportation que sa classe de "cancres" gagnera.
Il aura suffit d' une professeur d' histoire qui n'avait pas vocation à lâcher une classe dont tout le monde y compris eux-mêmes pensaient ne pas en valoir la peine. Et le livre d' Ahmed Dramé me laisse un goût d'espoir moins amer que le monde où on nous projette quotidiennement, instantanément, sans recul et sans pudeur.
"Ces victimes se sont mises à faire écho, à se déplacer, elles aussi, vers moi. Ces sacrifiés par millions dans l' Holocauste ne sont pas morts tout seuls. Nous sommes morts avec eux, car c'est l' humanité dans sa totalité qui a péri. Je suis mort avec eux parce que je ne suis pas seulement Ahmed Dramé première version, je suis les autres. Je suis Jesse Owens et Mélanie et madame Anglès et mon frère. J'ai ma propre chair, mais je porte la même peau. J'ai une histoire particulière, un trajet spécial qui fait de moi une exception. mais j'appartiens autant à l' Histoire, celle de l' Homme, et à ce titre, je suis les autres."
Que
reste-t-il aux êtres « survivants » des violences
physiques et morales subies dans l'enfance ?Que
reste-t il après les actes, sinon la parole, les mots et l'art pour tout expression de soi ?
J'ai
souhaité donner cet espace-temps à cette parole, au travers des
mots d'Helenablue qu'elle a un jour adressé à sa mèreaprès une amnésie de plus de 30 ans sur un traumatisme d' enfance.
Faire un film aussi pour rendre une sorte de justice quand celle des hommes n'en n'est pas capable, mais surtout transmettre etdonner à entendre ce qui est "tu".
Ma
rencontre avec Helenablue a eut lieu en 2008, à travers son blog
puis dans la vie réelle au bout d'un an d'échanges. Il
se dégageait de son journal une aura particulièrement sensible au
monde, engageante tout en étant intime, et une capacité à se dire,
à s'écrire comme j'ai rarement trouvé sur la toile.
"Arriver à inspirer les autres c'est leur dire toi aussi tu peux le faire, moi je le fais, lui le fait, toi aussi tu peux le faire", m' a dit un jour Héléna.
Il est parfois
difficile de recevoir certaines vérités, et certaines paroles. Comment les dire, comment les montrer ? ...Il n' y a pas d'indicible, il n' y a que de l'humanité. Nommer l'indicible c'est rendre compte de la part d'ombre inhérente à tout être. "Le
courage c'est de chercher la vérité et de la dire; ce n'est pas subir la loi du mensonge triomphant." (Jean Jaurès)
Tu ne vas pas souvent au théâtre. Tu
ne vas pas souvent au THÉÂTRE, parce que c'est un gros mot, c'est écrit
en gros, ça fait intello, ça t'ennuie. Tu t'ennuyais déjà beaucoup
trop à l'école avec toute cette poussière de vers et d'alexandrins.
Pourtant, tu sais, que lorsque tu franchirais la porte d'un théâtre ce
serait la promesse d'une surprise vivante qu'on déballerait devant toi.
Avec des mots pleins de tes non-dits. Ce serait toujours l' histoire de quelqu' un , mais ce serait toujours un peu de ton histoire.
Au petit matin, une femme serait assise face à la fenêtre qui donne sur
le moulin. Ce moulin Rouge avec échaffaudage autour de son cou et pull à
col roulé bleu autour du tien serait le souvenir de cette journée là,
parce qu' il ferait froid et que tu serais déjà épuisée au matin. Cette
femme assise traverserait la vitre avec une acuité particulièrement
vive, car elle aurait survécu au hurlement intérieur cauchemardesque de
sa nuit. Après cela, elle ne dormirait plus les dix sept autres nuits.
Elle relirait tout Anna Karénine, entièrement, trois fois. Au creux des
heures nocturnes, dépossédée de ses rôles sociaux, elle goûterait de
nouveau à sa liberté insoumise, sans horaires, sans contraintes, sans
atteintes, elle échapperait à son enveloppe de mère et d'épouse dans la
lecture, entre les lignes, elle se délecterait d'un morceau de carré de
chocolat fondant, de quelques verres de cognacs et échaffauderait ses
heures d'insomnies en fulgurances fictives, héroïques, jusqu' à
l'ivresse sans sommeil, quitte à en mourir. Et ni son mari, ni son fils
ne se douteraient un instant de sa double vie. De jour comme de nuit,
elle assurerait mécaniquement ses tâches et poursuivrait à la perfection
sa tenue de route quotidienne. Dormir ? pour quoi faire ? puisque c'est
la seule issue possible à sa vie sensible...
Nathalie Richard interprète la femme de "Nuits Blanches" au théâtre de
l' Oeuvre, et c'est une heureuse redécouverte pour moi que cette
actrice, croisée l'année dernière à l'occasion du très beau film "A bas bruit", un film coup de coeur de l'auteur cinéaste Judith Abitbol. On aime un acteur ou une actrice pour sa manière à dire, à se
mouvoir, c'est complètement subjectif et sensitif. Et, elle, j'aime bien
comment elle parcourt et habille les histoires, de sa voix et de ses
rythmes.
Je vous invite à la découvrir.
Le mot "émotion" vient du verbe "émouvoir". Il est basé sur le latin emovere, dont e- (variante de ex-) signifie "hors de" et movere signifie "mouvement"
***
"Mouvement : Sur la scène comme sur la page, dans le corps qui danse et dans la main qui trace"
"En proie à ta manie d'accumuler plonge cette page dans l'eau l'encre bave le papier se dissout ton regard se désemplit plus rien à chercher c'est alors que tout peut arriver"
“Il suffit de peu de mots à l’esprit contemplatif pour effectuer une percée dans le domaine de l’essentiel, inhérent à la poésie. Le haïku est un moyen de nous ressaisir dans notre « être ici-et-maintenant » par une condensation des perceptions qui offrent un accès direct à l’illumination de la conscience. Ces courts poèmes ne suivent pas un ordre particulier. Ce sont plutôt des miroirs qui reflètent « les choses comme elles sont en elles-mêmes ». L’expression spontanée dont j’use ici est de même nature que la danse ; il s’agit de cerner les idées et intuitions qui pénètrent le cœur pour que mots et réflexion se fassent action, d’atteindre au royaume, invisible et visible, du temps de l’esprit, espaces sur le papier ouverts à la pensée.” "brins d' herbe"- C.Carlson - Actes Sud
Qui sait d'où il faut arracher la possible splendeur en ce monde ? Est-ce plus facile dans une maison confortable ? Est-ce plus facile dans un deux pièces en banlieue ? Est-ce plus facile dans un appartement chic parisien ? Est-ce plus facile dans une déchetterie a ciel ouvert ? La beauté se trouve en dedans de tout. Parfois elle m'attrape et je la retiens. Et nous formons une danse insolite et brillante avant même de déposer l'enfantement de la rencontre dans une matière palpable, accueillie par les cinq sens d'une musicienne prophétie.
Quand tu ne lui arracherais que des loques, il te faut écrire comme si tu devais liquider la mer.
Les
mots sont tout ce qu'il te reste: lance toi à l'assaut de ce bleu. Tu
dois courir encore derrière la mer. Il t'appartient d'en modifier la
teinte, comme de recolorer de temps en temps le ciel, et de rhabiller
ses fantômes avec des vêtements neufs. Pour se perpétuer, l'invisible a
besoin de figures. L'infini est avide de formes. Il ne prend corps que
sur ses bords où se conjoignent le large et le rivage, là où se noie de
ton poème le beau regard exact et bleu: la mer est le grand encrier
indestructible."
Il n'est pas un grand esprit que n'aient obsédé, charmé, effrayé
ou au moins étonné, les visions qui sortent de la nature. Quelques-uns
en ont parlé et ont, pour ainsi dire, déposé dans leurs oeuvres les formes extra-ordinaires et fugitives, les choses sans nom qu'ils avaient entrevues " dans l'obscur de la nuit".
Phia Ménard
Une performeuse qui participe au
renouvellement de la jonglerie en travaillant les éléments : la glace,
le vent, bientôt l’eau comme une métaphore de sa propre métamorphose.
L' hermaphrodite- Musée Zadkine
Chacun est confronté dans l’intimité et nul échappatoire
n’est possible. Se débarrasser du carcan social, puis se débarrasser de
son enveloppe (la rejeter, la regretter), enfin se débarrasser de tout
son moi, intérieur (long tableau visuellement frappant où l’artiste se
vide littéralement d’elle même, de sa colère, de son passé, de ses
codes…). Ensuite accoucher de soi-même, se mettre à nouveau au monde, et
éclore d’un placenta de plastique dans un nouveau corps et une nouvelle
âme.
*******
Vortex- Création Cie Non Nova
Accouchement, mue, nouvelle naissance, révélation, chrysalide… tout le
champs sémantique de la symbolique de la transformation est explorée
plastiquement (au sens figuré comme au sens propre) par Phia Ménard, qui
se débarrasse peu à peu, de ses oripeaux superflus et embarrassants
jusqu’à apparaitre aux spectateurs quasi-nue, en femme.
"A moi petite fille que je n'ai pas été, on ne m'a pas dit "un jour ton prince viendra", alors je suis un peu frustrée, et je m' appercois que ça a marqué beaucoup de femmes et d' hommes cette histoire de prince charmant. C'est donc la quête de l'amour absolu. On y a cru un peu, mais on n' y croit pas et on doit se reconstruire. J'ai donc congelé un ballet de robes de princesses, le ballet du bal du Guépard de Visconti, ce ne sont que des robes mises en formes qui vont peu à peu se transformer en serpillères. Et lorsque elles seront devenues des serpillères nous devront éponger nos larmes et réapprendre à aimer."
"C'est le retour sur un
imaginaire d'une enfance que je n'ai pas eu. Le passé d'une fillette que
je n'ai pas été. Faire une sorte d'archéologie spéculative de ma propre
enfance féminine." ( A propos de la future création de Phia Ménard, "Belle d' hier"- propos recueillis ici )
"Ce
qu'on nomme une invention, une idée musicale, c'est d'abord une
inspiration dont je ne suis pas responsable. Je n'en n'ai aucun mérite. C'est
un cadeau, un don qu'il me faut presque mépriser tant que je ne me le
suis pas approprié par mon travail."
Johannes Brahms
Ardeur
maniaque pour travailler la phrase, rigueur jalouse en matière de
style, le tout pour parvenir a un ton neuf, comment ne pas penser ici à
Flaubert, presque contemporain de Brahms (...)
Pour un Schubert, un Schumann, un Brahms, la musique est langage des profondeurs, elle traduit le flux obscur de l'indicible. En ceci elle ressemble fortement à la poésie . Il n'est pas étonnant que ces musiciens aient été si intéressés et troublés par le poème, que les mots mêmes, comme le dit Brahms à propos des poésies et des ritournelles, leur suggèrent des notes, et qu'ils soient tous de grands lecteurs, de grands collectionneurs de mots. Car la musique est aussi là pour sauver de l'effort douloureux de trouver les mots. Schumann aura d'ailleurs longtemps hésité entre littérature et musique.
"Quand je lis un poème, je le lis lentement et distinctement, à haute voix, en général la mélodie me vient."
Autre traduction plus bas
Toute la tristesse de Brahms passe dans cette Rhapsodie. Clara note dans son journal, en septembre 1869, que ce morceau est l'expression même du malheur. "Si seulement Johannes pouvait exprimer autant d'ardeur avec les mots !"
La Rhapsodiepour alto opus 53 est composée pour le mariage de la fille de
Robert et Clara Schumman, à partir d'un poème de Goethe, Le Voyage dans le Harzen hiver.
extraits de BRAHMS-
Marie-Louise Audiberti
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Cette œuvre vocale et orchestrale de Brahms, parmi les plus belles et les plus émouvantes qu’il ait écrites, est le résultat d’une double rencontre. Elle est d’abord et avant tout le fruit d’une immense déception amoureuse que Brahms ne confia jamais de son vivant. Alors que le compositeur, âgé de 33 ans, n’a cessé d’être amoureux platoniquement de la grande pianiste Clara Schumann, il s’est entiché pendant une période très courte (et par une sorte de « transfert » bien connu des psychanalystes) d’une des filles de Clara, Julie. Cette histoire d’amour, restée au niveau du fantasme et jamais exprimée (ni à Clara, ni à la charmante Julie elle-même), aboutira à un terrible chagrin lorsque la jeune fille annoncera son mariage avec le comte Radicati. C’est de cette violente et fugitive déception amoureuse que naît la Rhapsodie, sorte de douloureuse méditation sur la souffrance et le moyen de transcender cette souffrance. Pour cela, Brahms utilise trois strophes d’un poème de Goethe, Harzreise im Winter (Voyage dans le Harz en hiver), exprimant un épisode triste de sa vie : en 1777, le poète avait traversé les montagnes pour aller rencontrer un jeune homme bouleversé par la lecture de Werther, et dont il ne put empêcher le suicide. Mais cette œuvre est aussi le fruit d’une seconde rencontre, celle avec la grande cantatrice et compositrice française Pauline Viardot, sœur de la Malibran, dont Brahms avait fait la connaissance grâce à Clara Schumann. De 1863 à 1870, Pauline s’était installée à Baden-Baden, en Forêt noire, avec toute sa famille. C’est aussi là que Brahms passait ses étés à composer sereinement dans la maison qu’il louait non loin de celle des Viardot. Il apprécia le talent, l’immense culture et le rayonnement européen de la cantatrice française, égérie de Tourguéniev comme de Chopin ou de George Sand, et il vit aussitôt en elle la créatrice idéale de cette Rhapsodie, ce « chant nuptial pour la comtesse Schumann », comme il aimait à le surnommer avec une pointe d’ironie.
L’œuvre se divise en trois parties correspondant aux trois strophes (strophes 5, 6, 7) retenues dans le poème de Gœthe. La première s’ouvre par un long prélude orchestral traduisant le vide absolu, le néant dans lequel est plongé l’être humain : trémolos des violons en sourdine, incertitude tonale, grondement des bassons et des cordes graves… De ce chaos harmonique, s’élève la voix du contralto solo (tessiture dans laquelle Pauline Viardot était la plus émouvante) :
Mais qui est cet homme à l’écart ? Par de brèves interventions dramatiques, sombres et entrecoupées, la voix semble s’engouffrer, fragile, dans un univers sonore qui la dépasse, à la manière du jeune homme errant, englouti par la nature qui l’environne.
Aber abseits, wer ist’s ? Mais là-bas, qui est-ce ? Son chemin se perd dans les broussailles, derrière lui les buissons se referment, l’herbe se dresse à nouveau, le désert l’engloutit
La deuxième strophe (Qui saura guérir les souffrances ?) montre déjà une sorte d’apaisement malgré la douleur profonde contenue dans la sublime mélodie du contralto. Certains mots révélateurs, tels poison ou haine des hommes, sont soulignés par l’orchestre, avant qu’une touche d’espoir ne vienne saluer l’expression plénitude de l’amour.
Ach wer heilet die Schmerzen Ah qui guérira les souffrances de celui pour lequel le baume devient un poison ? De celui qui, de la plénitude de son amour, voit naître la haine des hommes ! D’abord méprisé, aujourd’hui détracteur, il gaspille secrètement sa propre valeur dans une inestimable recherche de soi.
Arrive enfin le moment de grâce de cette partition, cette troisième strophe qui n’est autre qu’une prière adressée au « Père d’amour » (S’il est sur ton psaltérion…). C’est là qu’entre pour la première fois le chœur d’hommes. Ce choix de Brahms peut s’expliquer par des raisons purement esthétiques (des voix d’hommes seuls peuvent mieux renforcer la couleur sombre de l’ensemble de l’œuvre) mais aussi par des raisons plus psychologiques (le chœur d’hommes traduit un « monde sans femmes », comparable à ce qu’est la réalité du compositeur au moment de son chagrin amoureux). La voix de la soliste ne va plus cesser désormais d’être soutenue, accompagnée, embellie, par ce chœur masculin, traité à la manière d’un hymne quasi religieux. L’œuvre change alors de couleur : les fractures, les aspérités, les souffrances des deux premières strophes semblent s’effacer peu à peu au profit d’une sérénité retrouvée, d’une plénitude orchestrale et vocale, enfin possibles grâce à la ferveur de cette émouvante prière.
Ist auf deinem Psalter… Père de l’amour, si ton psaltérion renferme un chant auquel son oreille se montre attentive, alors rafraîchit son cœur ! Révèle à son regard voilé les milles sources voisines de l’homme assoiffé dans le désert !
Comme Brahms l’avait souhaité, c’est Pauline Viardot qui créa la Rhapsodie, en 1870 à Iéna, Ernst Naumann dirigeant l’Akademischer Gesangverein. Sans vraiment comprendre le drame intérieur qu’avait vécu le compositeur, Clara Schumann n’en fut pas moins émue, comme l’atteste son Journal intime : « Il y a quelques jours, Johannes m’a montré une œuvre merveilleuse pour alto, chœur d’hommes et orchestre. Il l’a appelé SON chant nuptial. Il y a longtemps que je n’avais ressenti une impression aussi vive ; j’ai été secouée par la peine profonde exprimée par ses paroles et sa musique ».
"L' homme fort vante la nature, le soleil, les arbres, les oiseaux, et aussi les vignobles et l'eau verte du fleuve. L'homme fort a la coeur brûlant d'amour, et le ciel resplendit.
Mais l'homme sensible parle du passé, de la pluie, de l'enfance. L' homme sensible dit sa tristesse. Même l'amour, il ne sait pas le vivre. S'il cueille la rose, avec Goethe, la rose le pique. Et le plus souvent il passe son chemin, le coeur lourd. Pour ne pas errer dans son désespoir comme une chien perdu buvant de l'eau des flaques, il chante. Que ses chants tarissent les larmes, arrête les soupirs. La nuit qui descend lentement, comme si le ciel avait silencieusement baisé la terre, apporte l'apaisement. L'âme déploie ses ailes, se détend. S'installe une sorte de paix sereine, résignée."
A l' heure où la blogueuse amie Hélénablue s'enveloppe graphiquement de blanc, sous le nouveau nom de Blue, je m'apprête à envoyer le film que nous avons crée ensemble dans différents festivals.
Tourné le 15 mars 2013, jusqu'à sa finalisation réelle ces jours-ci, au bout de presque 8 mois.
Trouver la voie juste prend un temps infini. Intérieurement il s'agit d'une autre affaire, un lien complexe à dénouer, à faire respirer, à laisser reposer, à reprendre. Le travail de création est là.
C'est ce qui nous lie au sujet qui en fait sa force, sa complexité, sa beauté. On appelle cela une note d'intention: "Pourquoi vous et pas quelqu' un d'autre pour faire ce film ?" ... une question à laquelle je n' ai pas eut besoin de répondre pour ce projet, fabriqué sans productions externes.
Un petit court-métrage de 6 minutes, ni plus, ni moins, qui possède en lui tout un drame de mots dits.
"Un long fleuve pas tranquille", écrivait Héléna, égréné pendant cinq années de vie sur son blog.
L' éprouvant processus de recouvrance de la mémoire après le traumatisme de l'inceste.
Il n' y a pas de coïncidences à ce même envol créatif de part et d'autre.
La reconnaissance "publique" serait que le film soit sélectionné, vu et entendu au-delà de notre blogosphère.
Un "Petit rien" porté à bout de bras et à bout de souffle pour une âme amie. Je serai allée au bout de tout avec celui-là, au moins. Et je dois l'accompagner.
Je voudrais remercier Le Plumitif, qui, après une demande très maladroitement élaboré, de fabriquer une affiche à partir d'une seule image du film m' a permit de publier celle-là, après mes refus sur les autres propositions.
En super commanditaire d'arrière-garde, j'ai eut droit à mon procès en "off", en bonne et due forme.
J'ai été absente, distraite et si peu attentionnée à la réception de tes essais...
Je reçois aujourd'hui l'ampleur de ton dessin.
Que tu en sois remercié en me permettant de le partager ici avec vous.
Helenablue, dans l'enveloppe des "je t'aime" s'y trouve le bout à bout de ces petits riens qu'on savait s'envoyer et recevoir.
Tous ces échos... L'enveloppe est assez pleine pour y nourrir de temps à autre son regard.
On se retrouvera.
Je suis très heureuse d'avoir pû t'accompagner jusque dans cette nouvelle peau.
"Ce que je vous donne aujourd’hui n’est pas une image, ou la quête d’une
seule image, mais l’image d’une quête : celle que permet le cinéma.
Certaines images doivent manquer toujours, toujours être remplacées par
d’autres : dans ce mouvement il y a la vie, le combat, la peine et la
beauté, la tristesse des visages perdus, la compréhension de ce qui fut ;
parfois la noblesse, et même le courage : mais l’oubli, jamais." Rithy Panh
« L'image
manquante » Une histoire du Cambodge sous le regard du cinéaste Rithy Panh.
Comment l'auteur, le
cinéaste réussit à recomposer ce qui manque à la mémoire de
l'histoire de son pays, les images manquantes.
Celles d'un peuple affamé
par une idéologie. Celle d'un désir de retour à la terre, bannissant la
propriété privée, le bien individuel du capitalisme, les chants,
la liberté de chacun, pour en faire un grand pot commun, chacun
nourrissant l'autre, une idéologie communautaire où tout serait
partagé, labeur, semence, récolte.
Les scènes sont
recomposés sous forme de maquettes, où la caméra tournent avec
de petits personnages sculptés dans l'argile. Parfois, on voit la
main du cinéaste qui les sculptent.
La bande sonore très
travaillée par les ambiances, la musique, accompagnée par la voix
off du réalisateur narrant au fil de ses souvenirs, ce qui fût. La
mort des proches décimés par la faim, les corps mourants un à un,
les camps de travaux forcés, l'abandon d'un peuple, son
annihilement, sa destruction flagrante et pourtant invisible aux yeux
du monde. Comment a-t il pu survivre lui-même, se demande-t-il,
survivant à cinquante ans ?
J'apprends alors cette
effrayante parole de mensonges, tissées d'images de propagande, des
images fossés , de celles qui recouvrent les cadavres
qu'on laisse à terre sur le bas côté. La gloire de Pol Pot, ce
tyran qui ne dit pas son crime, qui affiche sourire et victoire de
son idéologie face aux dirigeants chinois, admiratifs.
Le cinéaste déterre
séquence après séquence, à travers son histoire personnelle, ce
qui broie l' humain petit à petit. Un film vraiment passionnant tant
dans son écriture cinématographique, son travail de recomposition
nécessairee à toute survivance. Témoigner. Témoigner contre
l'implacable mensonge qui tente de recouvrir l'histoire.
Cela complète ma lecture
d' Images malgré tout, de Georges Didi-Huberman,
un ouvrage écrit autour de quatre images prises dans le camp
d’Auschwitz. Quatre documents d'un réel qu'on dit impensable, dont
on dit encore que l'on ne peut pas imaginer l'horreur. Inimaginable.
Toute la trame de ce
livre est d'exprimer pourtant qu'il n'y a rien d'impensable, bien au
contraire, que l'indicible doit être dit et non pas relégué au
rang de l' inimaginable. C'est imposer aux victimes et aux survivants
l' inhumanité même qu'on leur a fait subir.
Il faut imaginer. Il faut
penser ce réel. Car il a été lui même pensé, imaginé, conçu et
appliqué.
Voilà en résumé, ce
qui tient lieu d'oeuvre, malgré Tout.
"Voir pour savoir. Et non pas simplement regarder."