"Tu souffres, et il ne le faut pas. Dessine une carte de ton désir et vis dans ce plan qui doit toujours obéir à une norme de beauté. C'est ce que je fais, mon cher ami... Et ce n'est pas facile ! Mais j'y vis. Je suis un peu hostile à tout le monde; pourtant, la beauté vive que je sens battre dans mes mains me console de tous les déboires. Et comme j'ai des conflits de sentiments très graves et que je suis accablé d'amour, de vilenies, de choses très laides, je m'en tiens coûte que coûte à ma norme de joie. Je ne veux pas capituler. Tu ne dois pas te laisser abattre. Je sais très bien ce qui t'arrive.
Tu es à l'âge triste du doute, écrasé par un problème artistique que tu ne sais comment résoudre. Patience. Ce problème se résoudra de lui-même. Un beau matin tu commenceras à y voir clair. Je le sais. J'ai de la peine à te savoir plongé dans ces sales histoires. Mais tu dois apprendre à en triompher à tout prix. Tout vaut mieux que d'être dévoré, brisé, déchiqueté par elles. J'ai surmonté ces derniers jours à force de volonté une des plus grandes douleurs de ma vie. Tu ne peux imaginer ce que c'est, de passer des nuits entières sur le balcon à regarder la Grenade nocturne pour moi vide sans trouver la moindre consolation dans quoi que ce soit.
Et puis... veille constamment à ce que ton état ne s'infiltre pas dans ta poésie, sinon elle te jouera le mauvais tour d'exposer ce qu'il y a en toi de plus pur aux regards de ceux qui ne doivent jamais le voir. Voilà pourquoi, afin de m'exercer à la discipline, je fais actuellement ces études et livre mon âme au symbole du saint sacrement et mon érotisme à une Ode à Sésostris, à moitié terminée. Je te parle de ces choses parce que tu me le demandes; je ne dirais plus rien de ce qui, malgré moi, me blesse sans coup férir et on ne peut plus sciemment.
Mais je me défends, J'ai plus de courage que le Cid..."
Federico Garcia Lorca à son ami Jorge Zalamea